Coalition européenne contre le cancer du sein
Lutter pour des soins optimaux

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Qualité de vie et cancer du sein

Docteur Fabienne Liebens,
Madame Mireille Aimont. Clinique du sein


Mai 2003

L'essentiel n'est pas de vivre mais de bien vivre.
Platon

Introduction

Parmi les objectifs du traitement du cancer du sein, l’amélioration durable de la qualité de vie des femmes qui en sont atteintes est devenu un enjeu prioritaire 1.

Pour réaliser cet objectif il faut pouvoir dans un contexte pluridisciplinaire, disposer des moyens humains et techniques les plus performants pour guérir la maladie et/ou en diminuer les conséquences. Le concept de qualité de vie en médecine suscite un intérêt récent. Il existe un certain nombre de facteurs qui ont influencé voire même créé cet intérêt.

Tout d’abord le contexte social est primordial car la société évolue et place de plus en plus l’individu, la personne humaine au centre de son discours à travers les médias, Internet, les loisirs, la politique et les sciences humaines. Ensuite si la médecine n’échappe pas à cette évolution sociologique, les professionnels de la santé sont aussi par leur pratique confrontés au quotidien aux complications des traitements qu’elles soient physiques, psychologiques et sociales.

Face aux détresses des individus, les équipes médicales peuvent être amenées à s’interroger par exemple, sur le bien fondé de certaines thérapeutiques agressives non curatives. Enfin l’évolution de l’éthique des droits des malades vers plus d’autonomie, de prise de responsabilités et de liberté de choix met l’accent sur l’importance de l’aspect qualitatif de la survie.

De plus en plus, au nom des valeurs d’Autonomie, le malade revendique une place de partenaire informé, actif, dans le processus de décision. Il attend donc que ce qui relève de sa subjectivité, sa singularité, soit reconnu et accepté. En Belgique la récente loi sur les droits du patient (2002) illustre les tentatives du législateur de rendre compte de cette évolution éthique.

Depuis les recommandations de la Société américaine d'oncologie clinique (Asco), qui considéraient en 1996 les mesures de la survie et de la qualité de vie prioritaires par rapport à l'évaluation de la réponse tumorale, un nombre croissant d’études ont été publiées qui nous montrent les avancées réalisées, mais aussi les problèmes non résolus tant sur le plan méthodologique que dans les applications cliniques 2.


 

Définir la qualité de vie

La " vie " fait référence à tout un contexte, intra- et interpersonnel, à une situation psychique et physique. Evaluer sa qualité, c'est donc évaluer les capacités, physiques et psychologiques du sujet pris dans ses interactions avec le monde qui l'entoure (famille, travail, relation à soi).

La qualité de vie d’un individu est donc un concept complexe, multidimensionnel et subjectif dont l’évaluation est exprimée de façon optimale par l’individu lui-même.

La sociologue Anne Fagot-Largeault nous dit : ..« La qualité de vie, sous l’angle individuel, c’est ce qu’on souhaite au nouvel an : non pas la simple survie, mais ce qui fait la vie : bonne santé, amour, succès, confort, jouissances bref, le bonheur… ».

Dans cette définition la sociologue pointe déjà la bonne santé comme le premier facteur qui fait la vie. En médecine, définir la qualité de vie est encore plus compliqué. L’OMS ne définit elle pas la santé comme un état de bien être physique, social et psychologique mais quelle vaste définition !

La qualité de vie liée à la santé doit prendre en considération un ensemble de variables relevant de domaines très larges et évalués selon des modes d’investigation différents. Un bon nombre d’études concernant la qualité de vie en oncologie ont tenté de transformer ces domaines qualitatifs en variables quantitatives et donc mesurables.

Pour le cancer du sein dans le domaine du fonctionnement physiques on évaluera entre autres: la douleur, la mobilisation du bras, le lymphoedème, les nausées, la perte des cheveux, la sécheresse vaginale, les bouffées de chaleur, la libido ; dans le domaine émotionnel on quantifiera la dépression, l’anxiété, et l’adaptation au fait d’avoir un cancer ; dans le domaine social on tiendra compte de la capacité d’entretenir des relations avec la famille et les amis, d’exercer un emploi et de réaliser tâches ménagères et loisirs.

Tous ces domaines peuvent être évalués de façon globale (ensemble de variables) ou spécifique (variable isolée). L’approche quantitative d’un concept qualitatif n’est pas toujours bien admise et comprise, confusion entretenue par les tenants, fréquents en médecine, du dogme d’une frontière infranchissable entre le monde des « qualités et celui des « quantités ».

La qualité de vie reste donc un concept encore mal compris et mal utilisé, alors que sa prise en compte dans les décisions médicales et en santé publique offre aujourd’hui des solutions originales et pertinentes en intégrant les notions de bien-être aux mesures objectives habituelles.


Importance de la qualité de vie liée à la santé

Pendant longtemps en oncologie, l’efficacité d’un traitement a été appréciée en termes de taux de réponse et de prolongation de survie. Si ces variables mesurées restent importantes, elles ne sont plus suffisantes pour évaluer l’effet d’une thérapeutique.

Nous savons que la plupart des traitements du cancer en général et du cancer du sein en particulier, sont pour le moins agressifs et responsables de conséquences physiques, psychologiques et sociales.

Prolonger la survie ne se fait plus à n’importe quel prix. Les bénéfices liés à l’augmentation des chances de survie (parfois incertaines) des malades ne peuvent raisonnablement s’envisager sans tenir compte de la qualité de cette (sur)vie.

Une première raison pour s’intéresser à la qualité de vie est qu’aujourd’hui, son appréciation permet de quantifier les états de santé, de moduler les notions classiques de survie et ainsi d’éclairer la décision médicale.

Une seconde raison pour s’intéresser à l’évaluation quantitative de la qualité de vie en médecine est que son appréciation subjective par les médecins n’est pas optimale. Quand on compare les données de qualité de vie objectivées par un questionnaire validé (EORTC QLQ 30) à celles obtenues à partir des dossiers médicaux dans une population de patients atteints de cancer, la concordance n’est pas optimale dans tous les domaines.

Les patients font état de plus de problèmes de qualité de vie via le questionnaire que ce qui est repris dans le dossier médical et particulièrement dans le domaine des symptômes, de la détresse émotionnelle et des performances physiques 3.

Il est possible que les médecins ne rendent pas compte dans les dossiers de leur évaluation subjective de la qualité de vie de leurs patients mais des travaux récents nous démontrent que des oncologues de spécialités différentes (chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie) ont des difficultés pour initier la communication à ce sujet au cours de la consultation, laissant l’initiation de la discussion des domaines émotionnels et sociaux de la qualité de vie à leurs patients souffrants de cancer du sein à un stade avancé 4.

Ceci peut être amélioré par des formations à la communication 5


Evolution des études de qualité de vie dans le cancer du sein

Il existe ces dix dernières années une augmentation croissante des publications concernant la qualité de vie liée à la santé et particulièrement en oncologie.

En 1998, dans une revue de la littérature sur l’évolution de la prévalence de ces publications, les auteurs notaient une augmentation continue du pourcentage des essais cliniques randomisés en cancérologie évaluant la qualité de vie qui est passé de 1,5 % en 1980 à 8,2 % en 1997 6.

Ces données sont en faveur d'une prise en compte par les cliniciens de l’importance du concept. La FDA n’autorise plus la mise sur le marché d’un nouveau médicament sans pouvoir disposer de données concernant les effets du produit sur la qualité de vie des malades. 

Depuis 1995 au sujet du cancer du sein, la croissance des études mesurant différents domaines de la qualité de vie est constante pour les interventions biomédicales et elle est exponentielle pour les interventions psychosociales.

Si on prend l’exemple du cancer du sein métastatique, dans une récente méta-analyse, il apparaît que quinze sur les dix neuf études randomisées publiées depuis 1995 évaluaient la qualité de vie comme « end point » secondaire. Mais il subsiste un certain nombre de difficultés méthodologiques dans la rigueur des mesures qui ne permettent pas toujours de tirer des conclusions définitives sur la supériorité d’une nouvelle thérapeutique par rapport à la thérapie standard sur base des données de qualité de vie 7.

Mais ces problèmes méthodologiques ne sont ils pas la constance de toute méta-analyse ? Nous sommes clairement arrivés à une période clé dans l’évolution des études de qualité de vie liée à la santé : celle du développement de son application systématique en recherche clinique et pourquoi pas en pratique clinique cancérologique ? 8
 

Instruments de mesure

« Mesurer » constitue une composante essentielle de la recherche, tant en sciences sociales, qu’en médecine et en biologie. Une échelle de mesure de qualité de vie doit être construite en respectant une procédure scientifique très rigoureuse pour chacune des étapes. Le choix des items, en relation avec la finalité de la mesure et le type de cancer étudié, doit être complété par une étude de fidélité et de validité, qui explore plusieurs axes (validité de contenu, validité de structure…).

Avant d’être acceptées et reconnues, les propriétés métrologiques doivent être vérifiées sur des échantillons de sujets soumis au questionnaire. La validation d’une échelle de qualité de vie peut ainsi prendre plusieurs années, mais constitue un préalable à toute appropriation par la communauté scientifique 9.

Par exemple dans l’élaboration d’un instrument de mesure de la qualité de vie on va d’abord s’intéresser aux préoccupations principales d’une population de patients représentative pour un cancer spécifique (quelques centaines de patients) afin de mettre en évidence des points importants pour eux en termes de qualité de vie. C’est la première étape qui permet de mettre en évidence différents items de mesure. Ensuite on va soumettre un questionnaire obtenu sur base de ces items à une population plus importante (quelques milliers de patients) afin de valider des points clefs de leur qualité de vie, parfois manquants dans des questionnaires " usuels ".

Enfin la dernière étape d’élaboration est la validation de l’instrument de mesure final dans différentes langues et donc différentes cultures. Pour certains instruments de mesure, la validation reste discutable.

Il existe par ailleurs dans le monde médical, des réticences à revendiquer pleinement ces outils : lesquels sont disponibles et lesquels choisir, comment utiliser en pratique ces mesures, comment interpréter des données de qualité de vie ? En ce qui concerne la recherche clinique, les outils vont du recueil de deux ou trois items empiriques (tels que la douleur, la prise d'antalgique, l’évolution du poids, le nombre ou la durée des périodes d'activités) à des explorations complexes.

Ces dernières souvent élaborées sous l'égide de chercheurs spécialisés en qualité de vie, sont des instruments de mesure qui prennent la forme de questionnaires multidimensionnels validés, en fonction du type de cancer.

Un exemple parmi beaucoup d’instruments de mesure validés est le QLQ-C30- développé par le groupe « Qualité de vie » de l’EORTC (The European Organization for Research and Treatment of Cancer) 10.

Le module BR 23 de ce questionnaire a été spécialement développé pour les patientes atteintes d’un cancer du sein et validé dans plusieurs langues dont le français. 


Conséquences du cancer du sein qui ont un impact démontré sur la qualité de vie

  • Conséquences psychologiques
  • Conséquences familiales : maris et compagnons
  • Conséquences familiales : enfants
  • Communication dans la relation soignant-soigné en oncologie
  • Conséquences professionnelles

Les conséquences de l’annonce d’un cancer du sein et de ses différents traitements qui ont un impact démontré sur la qualité de vie sont nombreuses. A côté des effets secondaires directs, à court et à long terme, des thérapies locales (chirurgie, radiothérapie) et systémiques (chimiothérapie, hormonothérapie), conséquences que l’on peut qualifier de physiques, nous savons aujourd’hui qu’il existe aussi des conséquences psychologiques, familiales et sociales dont il faudra tenir compte.

Conséquences psychologiques

L’impact psychologique du cancer du sein est très particulier car il a une double origine symbolique ; tout d’abord il est lié à l’image du cancer, maladie redoutable par excellence, bien souvent synonyme de souffrance et de mort et ensuite à l’image du sein, dont la symbolique n’est plus à rappeler : féminité, sexualité et maternité. Si le cancer du sein affecte d’abord la femme qui en est atteinte, il touche aussi son entourage familial proche et les équipes médicales qui la prennent en charge. Quelles sont les conséquences psychologiques les plus fréquentes ? L'anxiété est un symptôme souvent rencontré chez les individus atteints d'un cancer que ce soit au cours d'un examen de dépistage, d'une procédure diagnostique ou thérapeutique. C'est avec la dépression, la manifestation à laquelle le clinicien est le plus souvent confronté. Ainsi des études rapportent dans le cancer du sein des symptômes d'anxiété allant de 23 à 44% 11.

Dans notre expérience portant sur population de 663 femmes hospitalisées pour traitement chirurgical du cancer du sein, une femme sur deux (44%) exprimait des symptômes d'anxiété, 52% parlaient d’angoisse de mort et 71% de peur face à la mutilation 12.

L'anxiété est souvent un processus normal d'adaptation à la maladie mais si cet état se prolonge ou s'intensifie, il va nécessiter une prise en charge adaptée. Un des facteurs de risque d'anxiété est l’absence de communication avec les professionnels de la santé. De nombreux travaux ont montré que l’information fournie par les équipes médicales non seulement dans son contenu mais aussi dans sa fome peut largement contribuer à la diminution de cet état psychologique 13.

La tristesse et les symptômes dépressifs sont tout aussi fréquents lors de l’annonce d’un cancer du sein et peuvent resurgir à différents moments tout au long du suivi. Il est clair que toutes les femmes ne sont pas égales devant leur adaptation à l’épreuve du cancer et un point critique est de pouvoir poser correctement le diagnostic d’une dépression sévère nécessitant une prise en charge.

La dépression majeure touche environ 25% des femmes atteintes d'un cancer du sein et le clinicien devra être attentif aux éléments suivants : des antécédents de dépression, l’absence de support social (pas de compagnon ou mari, peu d’amis et un environnement professionnel non valorisant) et la persistance de croyances irrationnelles à propos de la maladie.

Sur ce dernier point il faut savoir que la dépression associée à un plus faible sentiment de contrôle sur les événements et à une qualité de vie détériorée sont parmi les facteurs prédictifs de l’utilisation de thérapies alternatives et complémentaires chez des femmes qui choisissent d’avoir recours à ces approches trois mois après le diagnostic de leur cancer du sein 14.

Si la dépression sévère est plus fréquente dans le cas d’une maladie à pronostic sombre, il serait faux de penser qu’elle ne touche pas les femmes atteintes de petite tumeur à meilleur pronostic. Dans notre expérience, des symptômes dépressifs sont présents chez 35% des femmes hospitalisées pour traitement chirurgical de leur cancer du sein 12.

Ces symptômes ne sont pas influencés par l’âge, le type de chirurgie et le pronostic de la maladie. Nous pensons que le choc de l’annonce du cancer a déjà une grande part de responsabilité dans cette morbidité psychologique en confrontant l’individu à l’idée de sa mort.

Conséquences familiales : maris et compagnons

Lorsque dans une famille une personne est atteinte d’une maladie grave, c’est tout le système familial qui s’en trouve altéré. En effet, chaque famille a des habitudes, des rythmes, des règles,... et la maladie va désorganiser toute cette structure bien établie. Ainsi la femme atteinte d’un cancer du sein n’assumera plus ses fonctions durant un certain temps, son mari (avec l’aide éventuelle de ses enfants) devra prendre la relève. La situation financière se modifie, les besoins affectifs changent.

La vie de la famille est bouleversée, elle doit reconstruire un nouvel équilibre autour de la maladie. Pour la femme touchée par le cancer du sein qui vit en couple, son partenaire est très certainement la personne la plus intimement confrontée à son besoin de soutien au quotidien. Les femmes qui disent percevoir un bon support émotionnel de leur partenaire ont une meilleure adaptation à la maladie par rapport à celles qui perçoivent le soutien de leur compagnon comme inexistant ou insuffisant.

Il est démontré que l’implication émotionnelle des maris ou compagnons des femmes atteintes de cancer du sein est toujours une réalité. L’homme est tout sauf un observateur détaché, même s’il en a l’air. Les études rapportent que la majorité des maris ou compagnons présentent des troubles psychologiques variés en réponse à la maladie de leur partenaire : troubles du sommeil, troubles alimentaires, problèmes concernant leurs responsabilités professionnelles, symptômes d’anxiété et de dépression, difficultés sexuelles après l’intervention chirurgicale de leur épouse. Ces troubles peuvent persister pendant de longues périodes.

Des travaux mettent également en évidence des facteurs de risque de détresse psychologique chez les maris. Ces facteurs peuvent être : un faible support social, des problèmes de communications dans le couple, un manque d’information médicale et un manque de participation aux décisions thérapeutiques concernant la partenaire, une situation de maladie avancée, des problèmes d’alcoolisme et d’abus de drogues 15.

Si dans une approche globale de la prise en charge de la femme atteinte d’un cancer du sein, il est démontré que son partenaire va vivre également des bouleversements émotionnels, les recommandations restent vagues sur comment tenir compte de l’homme et de son vécu d’une façon pratique. Dans notre expérience la majorité des partenaires masculins vont hésiter à se confier et à exprimer leurs difficultés en pensant que c’est leur compagne qui mérite l’attention et le soutien. Ces hommes vont se retrouver dans une spirale d’isolement qui aura des conséquences non négligeables sur leur capacité de soutien de leur compagne.

Tout ceci montre que le clinicien, dans sa pratique quotidienne, se doit d’être attentif et de considérer le cancer du sein qui survient dans le couple comme une maladie qui touche aussi tout l’équilibre d’une famille. Informer le partenaire, le faire participer au processus de décision thérapeutique, reconnaître ses difficultés, lui proposer un soutien psychologique si nécessaire sont des initiatives capables de diminuer la morbidité psychologique dans le couple et de favoriser une meilleure adaptation à l’épreuve du cancer16,17.

Conséquences familiales : enfants

Si le cancer du sein touche 6000 femmes chaque année dans notre pays, on peut estimer que 30% d’entre elles seront diagnostiquées alors qu’elles ont encore des enfants qui vivent à la maison. Malheureusement aucun domaine dans la littérature psychosociale concernant le cancer du sein n’est aussi peu étudié et connu que celui des enfants des femmes touchées par cette maladie. Que faut-il dire aux enfants ? ; Comment le dire et à quel moment ? , sont des questions actuellement sans réponse 18.

Les parents sont généralement laissés seuls devant cette tâche difficile. Les enfants sont, plus souvent qu’on ne le croit, capables de comprendre le concept de la maladie et ses conséquences 19.

Quand leur mère est touchée par le cancer du sein les enfants présentent des troubles d'adaptation et des difficultés psychologiques. Même si ces difficultés ne paraissent pas atteindre des seuils de troubles psychiatriques, la souffrance de l’enfant témoigne d’un sentiment de solitude et de préoccupations requérants bien souvent une aide psychologique ponctuelle.

La littérature dont nous disposons, démontre que de véritables troubles d’adaptation à la maladie de leur mère surviennent chez 25 à 33% des enfants. Les problèmes rapportés sont des difficultés scolaires, de l’agressivité, de l’anxiété, des troubles du sommeil et de l’alimentation 20.

Les parents ne sont pas toujours capables de reconnaître la portée des symptômes psychologiques que suscite la maladie, ni la détresse de leur enfant. Ceci est bien compréhensible, tenant compte des conséquences de l’annonce du cancer du sein dans le couple et en particulier sur la fonction parentale.

Beaucoup de parents ont besoin d’être aidé (et le demandent) pour parler à leur enfant de la maladie ainsi que des changements qu’elle provoque dans la vie familiale. C’est important quand on sait que la communication entre les parents et les enfants peut réduire le degré d’anxiété de l’enfant. Cette communication doit tenir compte de l’âge de l’enfant, du mode de communication familiale préexistant, des sentiments des parents concernant leur propre maladie ainsi que de leur capacité de gérer les sentiments et réactions de leurs enfants face à la maladie.

Communication dans la relation soignant-soigné en oncologie

L’information fournie par les équipes médicales dans son contenu et dans sa forme peut, nous l’avons vu, avoir de profondes répercussions sur la morbidité psychologique de la patiente. Mais si l’information technique au sujet du cancer est de plus en plus souvent jugée suffisante par les patientes, la manière dont elle est communiquée peut être améliorée. La littérature au sujet de la communication soignant-soigné en oncologie nous dit que le patient retient en moyenne trois informations, 30% de la consultation, les premières et les dernières paroles. Le patient est généralement interrompu après 18 secondes alors qu’il aurait besoin de 45 secondes pour terminer l’explication de son premier souci qu’il achève dans 23% des cas 21!

L'évolution de la médecine et la chronicité des traitements du cancer imposent aux médecins la maîtrise difficile de stratégies de communication efficaces combinant évaluation, information et soutien. Dans la prise en charge au quotidien des patients atteints de cancer, les professionnels de la santé sont soumis à un stress indubitable et à des situations lourdes pouvant interférer avec leur capacité de communication 22.

Récemment des initiatives de formation ont été menées afin d'améliorer ces stratégies de communication des médecins, dont les enjeux concernent l'amélioration de la qualité de vie, tant des patients que du personnel soignant.

Ces programmes de formation améliorent la qualité de la communication entre les oncologues et leurs patients en favorisant chez les médecins les questions ouvertes, les comportements d’empathie, les réponses appropriées et l’intérêt dans le domaine psycho social de la qualité de vie de leurs patients.

Néanmoins des questions urgentes subsistent sur la manière de maintenir dans le temps les différents bénéfices de ces formations et sur leur transfert dans la pratique clinique 5,23,24.

Conséquences professionnelles

Le travail sur le terrain et le fait que notre équipe intègre une psychologue depuis 1989, nous a fait prendre conscience qu’un bon nombre de femmes rencontraient des difficultés professionnelles après l’annonce de leur cancer du sein. Cette impression a justifié la mise en route d’une étude pilote pour objectiver le mieux possible l’importance du problème et si possible le chiffrer.

Entre septembre 1998 et décembre 2000, un total de 302 femmes avec un cancer du sein opérable ont été vues par la psychologue durant leur hospitalisation. Six à 10 mois après leur sortie de notre service, ces patientes ont reçu un questionnaire évaluant entre autres les conséquences professionnelles de l’annonce du cancer du sein et de ses traitements (taux de réponse excellent de 70% : 201 étaient évaluables).

Alors que 129 femmes travaillaient au moment du diagnostic du cancer du sein, 48 (37%) d’entre elles disent avoir connu des changements dans leur vie professionnelle suite à la maladie. Ces changements sont caractérisés soit par un arrêt total de travail (n=17) ou une diminution du temps de travail (n=10), soit par de longues absences dues pour 7 d’entre elles à de graves problèmes de dépression, soit enfin à une réorientation ou changement de profession liés aux problèmes physiques qu’engendrent la chirurgie du sein (n=14).

Parmi ces femmes, 10 d’entre elles avaient moins de 40 ans et 21 moins de 50 ans, c’est-à-dire, qu’une femme sur deux a rencontré des difficultés à un âge où une réorientation professionnelle est problématique. Ce sont les femmes qui ont du subir des traitements lourds (chimiothérapie et radiothérapie) qui rencontrent plus de problèmes professionnels (52%) que les femmes ayant subi de la radiothérapie (27%) ou pas de traitement du tout (21%).


La prise en charge globale

Un défi essentiel en clinique est de pouvoir intégrer à la meilleure technologie médicale, la prise en charge des conséquences physiques, psychologiques et sociales de l'annonce du cancer du sein. Cette prise en charge globale a pour but de faciliter l’adaptation et d’améliorer la qualité de vie tout au long des différentes étapes de la maladie et des traitements.

Ces étapes incluent : le choc du diagnostic, la chirurgie et l’adaptation au corps mutilé, la prise en charge des effets secondaires des traitements adjuvants, l’anxiété, la dépression, le deuil, l’agressivité et les soins palliatifs sans oublier de tenir compte des implications émotionnelles de l’entourage proche (compagnon et enfants).

Différents modèles de prise en charge globale du cancer du sein ont été proposés. Celui de la clinique du sein a pour but d'améliorer la prise en charge des femmes atteintes d’un cancer du sein en réunissant les ressources humaines et techniques dans une unité spécifique de temps et de lieu. L’équipe soignante de la clinique du sein comprend tous les professionnels de la santé concernés tels que médecins généralistes, chirurgiens, oncologues, infirmières, kinésithérapeutes, psychologues, psychiatres, esthéticiennes et prothésistes qui s'organisent et se concertent dans une approche centrée sur la patiente.

Dans ce modèle le support psychologique fait partie intégrante des soins sous forme de psy de liaison ou mieux de psy intégrée à l’équipe soignante. Dans d’autres modèles, en particulier anglo-saxon, des infirmières spécialisées en oncologie prennent en charge le soutien psychosocial. Dans notre expérience les avantages de la prise en charge psychologique intégrée sont une grande disponibilité pour les patientes, une approche systématique de la patiente et de sa famille et l’organisation d’un suivi psychologique quand cela s’avère nécessaire.

Quand on interroge les patientes six mois après leur intervention, deux tiers d'entre elles (61% de 663) trouvent que la psychologue leur a été utile principalement car elles ont pu parler de leurs émotions à quelqu'un. Ceci nous encourage à continuer de proposer systématiquement cet espace de parole d'autant plus qu'à ce jour sur un total de 663 patientes, 15 ont refusé de rencontrer la psychologue (2%).

Pour les infirmières, la psychologue est vue comme pouvant les décharger d’un poids émotionnel important en aidant la patiente à faire face à la maladie et à en parler 25. Travailler au quotidien dans une équipe avec la psychologue permet également l’expression des difficultés émotionnelles des soignants.

Ces dernières sont très variables d’un soignant à l’autre en fonction du nombre de cas difficiles et du vécu propre de chacun. Leur reconnaissance implique une discussion au jour le jour avec les membres de l’équipe dont la psychologue fait partie intégrante. Nous vivons au quotidien cette approche originale comme une amélioration de la qualité de nos possibilités thérapeutiques.

De nombreuses études sur le bénéfice des interventions psychologiques dans le traitement du cancer ont été publiées ces dernières années. Elles nous indiquent un bénéfice significatif sur l’anxiété, la dépression, l’humeur, les nausées, la douleur, les vomissements et les connaissances au sujet du cancer.

La prise en charge globale permet donc d’améliorer la qualité de vie en améliorant les symptômes physiques, l’adaptation émotionnelle et le fonctionnement social de façon durable 26,27.

Le défi des années futures est de faire reconnaître par notre système de soins de santé, le fait que la prise en charge psychosociale fasse partie intégrante des soins oncologiques. A l'aube du troisième millénaire, il est urgent, de pouvoir obtenir les moyens pour organiser et généraliser cette prise en charge globale dont le financement est trop souvent financièrement précaire et qui est jugée non rentable par notre système de soins de santé !

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